7 Mars 2013
Je participais récemment à une formation pour Managers sur la thématique du Stress, au cours de laquelle l'une des séquences consistait à identifier individuellement ce qui nous stressait au travail, et à le partager en binôme. Puis, chacun des membres du binôme présentait de manière croisée à l'ensemble des participants, ce qui stressait l'autre.
Nous avons ainsi obtenu une liste particulièrement conséquente de sources de stress : contraintes des organisations complexes, pertes d'autonomie, responsabilités diluées, contrôles, réduction des marges de manoeuvre, responsabilités managériales inhérentes aux risques en matière de sécurité pour les salariés, gestion d'évènements imprévus et leurs impacts sur les plannings, agendas surbookés, conflits interpersonnels, volume et multiplicité des informations et indicateurs, réunions inefficaces, etc.
Bref, une agrégation concrète de sources de stress plus ou moins diverses, nées de réalités individuelles, en termes de contextes, d'environnements, de fonctions, de perceptions de soi, de perceptions des autres, etc.
Il est pourtant, parmi cette énumération de facteurs stressants, une thématique qui fut citée à plusieurs reprises par les Managers, comme étant pour eux une source de stress : L'entretien annuel. Qu'il s'agisse d'être dans une position de faire des feedbacks négatifs, ou en raison de l'inconfort lié aux contraintes du modèle de notation, ou encore en raison de l'ambivalence perçue entre certains attendus (autonomie et innovation vs "exécution"), etc.
Le fait que l'entretien annuel ait été en proportion des participants la première source communément citée, m'a particulièrement posé question. Certes, la "Fonction RH" est aujourd'hui généralement consciente ou sensible à la dimension "l'entretien annuel comme source de Stress pour le salarié". Elle travaille habituellement à faire évoluer le dispositif en place dans l'entreprise au fil des années, à interagir avec le CHSCT, à accompagner les Managers via des communications sur les "bonnes pratiques théoriques" et conditions de réussite d'un entretien, à leur proposer des formations à l'entretien, etc. Pour autant, la "Fonction RH" est-elle de manière équivalente, consciente et sensible à la dimension "l'entretien annuel comme source de Stress pour le Manager" ?
Cette perspective de l'entretien annuel et de l'évaluation comme facteur du stress commun et partagé à la fois par les collaborateurs et les managers, m'interroge tout particulièrement. Ceci, qui plus est lorsque je considère les résultats d'une étude Reuters de 2009, indiquant que 3 salariés américains sur 4 seraient insatisfaits du dispositif de revue de leur performance, et souhaiteraient un changement dans les process d'évaluation et une approche reflétant plus la réalité de leurs contributions.
Même si l'on peut assez naturellement partir du postulat que l'intention initiale concernant la mise en place des entretiens d'évaluation est positive, en pratique en revanche, l'entretien et l'évaluation associée, sont souvent vécus de part et d'autres comme un exercice "délicat", si ce n'est redouté. Pourquoi cela ? Quel est le problème ? Comment dépasser cet état de fait ?
Albert Einstein disait : "Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré". Dans cette perspective, comment changer de niveau de conscience sur le sujet ?
Dans un premier temps, peut-être est-il intéressant de s'arrêter sur la dimension même d'évaluation, et ce qu'elle induit intrinsèquement. "Evaluer" est dérivé du latin "Valor", la valeur, il s'agit dès lors de « déterminer la valeur ». L’entretien d’évaluation a ainsi pour fondement la détermination de la valeur des collaborateurs, de leurs contributions. En cela réside la première problématique, à savoir la subjectivité induite par tout un chacun dans sa détermination de la valeur d'autrui et de soi, de ses actions, de ses efforts, etc. Lorsque selon une autre perspective, on mesure ne serait-ce que la diversité de valeurs que prêtent de potentiels acquéreur à un bien comme lors de séances de mises en enchères, on imagine alors aisément en quoi il est sans commune mesure complexe de déterminer une valeur objective et partagée sur le registre de l'humain.
Quoi qu'il en soit, l'entretien annuel est une pratique qui se développe plus ou moins progressivement depuis les années 1980, et qui est aujourd'hui relativement répandue dans les entreprises. Pour autant, les entreprises qui pratiquent l'entretien annuel sont-elles nécessairement plus performantes que celles qui ne le pratiquent pas ? En l'état, quelle est concrètement la valeur ajoutée de l'entretien annuel et d'évaluation, pour l'entreprise, les managers et les collaborateurs ? Cette question m'avait déjà traversée l'esprit lorsqu'il y a quelques temps, un proche, cumulant déjà plusieurs années d'ancienneté dans sa fonction, me faisait part de son scepticisme en écho à la mise en place de l'entretien annuel dans son entreprise : "Je fais déjà naturellement mon job et cela se passe bien comme cela, qu'est ce qu'ils vont bien pouvoir me définir comme objectifs en plus ? ... à quoi ça sert, quel est l'intérêt ?".
C'est généralement à ce stade que les RH interviennent pour expliquer aux salariés et aux managers que l'entretien doit être un moment d'échange, pour faire un bilan, envisager l'avenir, définir des objectifs, considérer les souhaits d'évolution, les besoins de formation, etc.
Or, une seconde problématique trouve sa source dans le fait que l'échange et une relation de confiance ne pourront pas s'instaurer spontanément par le simple fait d'être en entretien, si le reste de l'année, ils ont été absents de la relation entre le collaborateur et son manager. En d'autres termes, l'entretien n'aurait ainsi de portée, que s'il s’inscrit dans l'existence préalable d'une dynamique d’échanges, de bouclages successifs, de feedbacks en continu tout au long de l'année écoulée. Un bon feedback se faisant de manière proportionnée en regard de l'action reconnue, et ceci, le plus proche possible dans le temps de l'évènement considéré. Par ailleurs, une autre clé de succès habituellement mise en avant pour l'entretien annuel, est qu'il doit être fondé sur une collecte de faits et d'informations au fur et à mesure durant la période écoulée. Donc, en synthèse, les conditions de réussite de cet échange particulier, résideraient notamment dans l'existence préalable d'une proximité relationnelle entre le manager et le managé, de leurs interactions régulières et de leurs échanges en continus tout au long de l'année... La Quadrature du cercle ? ... A ce stade, les détracteurs de l'entretien annuel vous demanderont alors : "Quel est donc l'intérêt d'un entretien annuel au-delà de l'exercice de style, si le manager et son collaborateur sont déjà en lien étroit tout au long de l'année et travaillent dans une approche d'amélioration continue ?"...
Par ailleurs, dans un monde où "tout s'accélère", où le changement est devenu une constante, et qui nous plonge dans des dynamiques d'instantanéité : La démarche d'entretien annuel telle que majoritairement mise en place dans les organisations est-elle encore en phase avec ce que nous vivons ? En écho à ce qui précède, face aux limites de l'exercice et problèmes qu'il soulève, le moment n'est-il pas venu d'envisager de sortir du cadre, de dépasser les modèles actuels d'entretien annuels, d'en fluidifier les enjeux, et d'innover en la matière ? N'est-il pas temps de dépasser le périmètre de l'entretien annuel 1.0 et de la seule relation Manager et Managé ?
Et si nous envisagions une nouvelle approche, pour une évaluation objectivée, une évaluation plus agile, une évaluation plus collaborative et fondée sur une consolidation continue ? Pour ce faire, je vous propose d'ouvrir le champ des possibles, en adoptant une réflexion par analogie au travers de 3 perspectives différentes, et ainsi imaginer des pistes d'évolutions possibles pour l'entretien annuel et l'évaluation :
Pourquoi une telle pratique dans la sphère personnelle ne semble-t-elle pas naturelle ? Peut-être tout simplement parce que l'accompagnement parental se fonde sur des échanges réguliers, des évaluations préalablement réalisées par une ou des tierces parties, selon une dynamique d'évaluations et de contrôles continus, basés sur des critères de mesure de résultats et d'efforts factuels.
Sur cette base, et si nous envisagions de changer la temporalité de l'évaluation, en développant un système de reconnaissance et feedback en temps réel, en continu, sollicitant des tierces parties, via par exemple une plateforme web 2.0, le réseau social d'entreprise ? Bref, et si nous passions à un mode de "reconnaissance collaborative & conversationnelle 2.0" ?
Dans cette optique, et si nous envisagions une approche de type "+1" ou "Like", avec comme sous Linkedin une approche de la reconnaissance, de la recommandation d'aptitudes et pratiques professionnelles, passant par exemple par la consolidation au niveau individuel de Tags ou de validations de badges "Compétences", "Aptitudes", "Connaissances", "Pratiques", etc. alimentés directement par ses parties prenantes ? Et si nous allions au-delà de la simple somme de "+1" ou "J'aime", et imaginions des traitements et pondérations des différentes appréciations réalisées ? Ceci pour tendre vers une réduction de la subjectivité des évaluations.
La reconnaissance au travail via un vecteur électronique existe déjà dans les entreprises, par la réception de mails de remerciements, pour avoir résolu un problème, pour avoir réagi de manière réactive, etc. Ainsi, par exemple, un homologue RH en Inde, me montrait il y a quelques temps de cela en tête à tête, les différents mails de reconnaissance qu'il avait reçu directement de salariés, le remerciant pour la formation qu'il leur avait proposé, et à laquelle ils avaient participé. Ils lui rédigeaient ainsi en quelques lignes, en quoi le fait d'avoir suivi cette action était pour eux à valeur ajoutée, et les avaient conduits à certaines prises de conscience pour mettre en place des changements. La reconnaissance au travail via les mails est déjà une réalité, si ce n'est qu'elle reste globalement "confidentielle", culturellement plus ou moins développée, et difficilement quantifiable. Et si nous proposions pour aller plus loin un système un peu plus ouvert et performant d'aggrégation des feedbacks ?
Les objectifs déterminés lors des entretiens annuels sont "par nature" définis individuellement et de ce fait sont généralement rarement partagés au-delà de ce cadre. Et si nous donnions l'opportunité aux collaborateurs de partager certains de leurs objectifs plus collectivement via la logique de blogs dans l'entreprise ? Ceci pour accompagner et rendre visible leur statut de progression, en bénéficiant du mode conversationnel 2.0 pour être portés par la dynamique de motivation collective et collaborative, tout en facilitant par ailleurs l'évaluation des avancées, des efforts et l'atteinte des résultats ?
En synthèse, et si en support de l'approche actuelle d'entretien 1.0, nous proposions progressivement un dispositif de reconnaissance collective et collaborative 2.0 plus fluide, à valeur ajoutée pour les salariés et leurs managers, en vue d'accompagner, supporter les échanges, la relation dans le temps et la consolidation d'éléments factuels d'évaluation ? Ceci en commençant par laisser le choix, par mettre en place une approche pilote, par tester, par en faire le bilan avec les premiers volontaires, pour l'améliorer dans le temps, etc. ?