10 Janvier 2023
La notion d'expérience collaborateur s'est progressivement développée dans l'écosystème RH depuis le milieu des années 2010. Or comme bien souvent en RH, dès lors qu'un concept devient à la mode, tout le monde l'emploie alors de plus en plus massivement à tue tête, et cela, sans nécessairement y associer les mêmes composantes, ou y rattacher les mêmes fondamentaux pratiques et concrets.
A ce titre, certains vous diront par exemple qu'il s'agit d'une approche purement et strictement de marketing appliquée en RH. D'autres que tout cela c'est de la foutaise de consultants et que la Fonction RH travaille de facto sur le sujet depuis des années, sans qu'il n'ait été besoin jusque-là, de le nommer de la sorte, etc.
Pour ma part, dans une perspective RH, il me semble toujours intéressant d'en revenir à une logique de pragmatisme. Et ceci, tout en considérant les concepts comme autant de sources d'inspiration pour imaginer comment faire mieux, ou autrement, et ainsi potentiellement innover en RH. En tout cas, en ne considérant jamais un concept devenu tendance, comme une recette à appliquer sans prise de recul, et sans faire montre de pensée critique.
En conséquence, et avant toutes choses, il s'agit donc de commencer par en clarifier les dimensions, et de considérer les différentes visions que l'on peut avoir de l'approche. Ceci, pour en tirer des pistes de réflexion et d'actions potentielles à mettre en oeuvre :
L'expérience collaborateur, où est-ce que cela démarre et où est-ce que cela s'arrête ? Certes, pour le collaborateur, mais surtout, en termes de réflexion au niveau RH dans le fait de travailler sur le sujet ? Et par voie de conséquence : Qu'est-ce qu'il est intéressant de prendre en considération dans ce cadre, et quelles sont les limites à déterminer, etc. ?
En effet, le champ des possibles est vaste en termes d'approches, de périmètres d'applications et de déclinaisons dans les mises en oeuvre pratiques de la notion d'expérience collaborateur. Mais plus encore, il est tout particulièrement intéressant de considérer le champ des possibles dans l'idée d'innovation RH, et dans l'optique d'envisager alors via un prisme "expérience collaborateur" : d'autres manières de faire en termes de pratiques, de processus, de mode de réflexion RH, etc.
Ceci en vue de challenger certains modèles de pensées historiques ou classiques RH, dans lesquels nous pouvons nous être enfermés, et que l'on a dès lors d'autant plus de mal à remettre en cause.
Alors, comment s'y prendre pour développer une approche tout à la fois de "meilleure expérience collaborateur" et source d'innovations RH ?
Dans un premier temps, acceptons la réalité telle qu'elle est : Que l'on travaille le sujet ou non, dans tous les cas les collaborateurs de l'entreprise vivent d'ores et déjà et en tout état de cause une "expérience". Si dans l'idéal on peut la leur souhaiter positive, malheureusement force est de constater au quotidien, que dans une majorité de contextes de travail, cela n'est pas foncièrement le cas. Et quoi qu'il en soit, elle peut toujours gagner à être plus activement développée et améliorée; dans une optique de bénéfices et d'externalités positives pour toutes les parties prenantes de l'entreprise.
Pour ce faire, comme évoqué précédemment, il s'agit donc d'avoir caractérisé explicitement les composantes de la notion d'expérience collaborateur, et d'en avoir posé clairement les fondamentaux, afin de disposer d'un socle commun de référence sur lequel s'appuyer :
En ce sens, de façon synthétique, l'expérience collaborateur, peut être qualifiée comme étant la façon dont chaque collaborateur ressent et vit l’ensemble de ses interactions au sein de l’entreprise dans laquelle il évolue.
La question des ressentis nous place par là-même ouvertement sur le registre émotionnel et individuel, tant :
Quant à la question des vécus, à savoir les manières de vivre plus ou moins bien une situation, un évènement, un moment, ceux-ci sont tout autant la résultante :
Au coeur de l'appréhension de la qualité de l'expérience collaborateur, se niche donc la question de la "subjectivité" et des "perceptions proprement individuelles".
En l'occurence, face à un même évènement, face à un même processus, face à une même situation, deux collaborateurs vont potentiellement en avoir des perceptions différentes, et vont donc de ce fait, relater de qualités d'expériences différentes.
En tant que RH, la bonne appréhension de l'expérience collaborateur ne peut donc se jouer qu'à un niveau individuel, et qui plus est, sur la base de facteurs que pour partie nous ne maîtrisons pas, puisque intrinsèques aux personnes!
Ceci nous amène dès lors à considérer qu'il ne saurait y avoir de processus unique et générique en matière de démarche d'expérience collaborateur, susceptible d'être estimé par 100% des collaborateurs comme optimum !
Cela étant acté, deux premières dimensions et approches de prises en comptes, de réflexions, de travail en matière d'expérience collaborateur peuvent être investiguées, dans le sens où l’expérience collaborateur s’articule selon deux temporalités :
1/ D'une part, elle naît des interactions au quotidien : quelles qu'elles soient et avec qui ou quoi que ce soit. Elle s'inscrit donc dans la logique d'évènement, de ressentis dans l'instant. Ce sont généralement les interactions qui "marquent" : dans l'idéal positivement, et malheureusement bien souvent négativement. Ce sont en pratique les expériences dont les collaborateurs vont plus particulièrement parler à leur entourage personnel et professionnel !
2/ D'autre part, elle se consolide au fur et à mesure des vécus en termes de "parcours collaborateur dans la durée". Elle s'apparente ainsi en quelque sorte à la synthèse consolidée des différentes interactions vécues en fonction des évènements, des interlocuteurs, des besoins, des attentes, etc. Cette perception, cette évaluation de l'expérience vécue dans le temps en tant que collaborateur, peut alors relever de trois tendances :
Dès lors, sur la base de ces premières perspectives de facteurs à considérer, comment adresser la question du "comment faire / que faire sur le sujet de l'expérience collaborateur, et comment s'y atteler ?"
En fait, de façon très littérale, si nous en revenons aux fondamentaux, dans RH il y a "Humaines" / "Humain", et tout humain est avant toutes choses intéressé par une chose : Lui-même. De la sorte, un premier principe en matière d'expérience positive pour un individu, est : Que l'on s'intéresse à lui, qu'on le considère.
S'il se sent pris en compte, il vivra d'ores et déjà par défaut une meilleure expérience !
Cela en passe par le fait d'investiguer différents facteurs à différents niveaux et selon différentes perspectives, via la mise en oeuvre d'approches permettant de :
> 1/ Prendre en considération les besoins individuels de chaque collaboratrice et de chaque collaborateur, comme par exemple des besoins :
Cette prise en considération des différents besoins, va ainsi nécessairement conditionner la question de leur niveau de satisfaction, et donc de la manière de les satisfaire.
> 2/ Prendre en considération les attentes de chacune et de chacun (en regard de leur système respectif de référence / de projections), en termes par exemple :
> 3/ Prendre en considération les particularités individuelles en matière de niveaux de compétences, d'autonomie, etc, pour imaginer comment adapter en fonction et plus spécifiquement, les processus et dispositifs RH.
> 4/ Prendre en considération les usages individuels, pour identifier comment pouvoir être au maximum compatible avec ceux-ci dans le cadre des interactions, des collaborations, etc. Cette dimension des usages renvoie en effet plus fondamentalement à la question de l'effort sous-tendu pour un individu, en vue par exemple de s'approprier un nouvel outil, une nouvelle pratique, etc. en complément ou en remplacement d'autres.
En la matière, une bonne pratique d'optimisation des expériences individuelles des collaborateurs peut ainsi être de développer en tant que RH sa réflexion en partant des usages identifiés, pour pouvoir alors s'appuyer dessus afin d'imaginer et de sélectionner les différentes solutions et options les plus porteuses.
> 5/ Prendre en considération les réalités de travail des collaborateurs :
Comme par exemple lors de la mise en oeuvre d'actions d'information / communication, de formations ou de tout nouveau processus / dispositif de gestion RH.
> 6/ Prendre en considération les comportements :
> 7/ Prendre en considération les facteurs d'impatience / d'insatisfaction :
> 8/ Prendre en considération les facteurs de satisfaction :
Cela étant posé, il s'agit dès lors d'appliquer de façon croisée, la considération de ces 8 facteurs en matière d'expérience collaborateur, à l'approche par évènement RH et moments vécus qui relèvent :
Par ailleurs, en vue d’une meilleure "expérience collaborateur" née de véritables démarches d'individualisations, et d'approches potentiellement plus innovantes, il est pertinent d'appréhender la notion d'expérience collaborateur comme la fusion d'expériences distinctes fondées sur des prismes particuliers :
Qu'en est-il de façon plus détaillée ? :
> L'expérience de "Statut" :
La prise en compte selon le prisme du statut consiste à s'extraire de la logique trop générale associée à la seule notion de collaborateur. En effet, "l'expérience collaborateur" susceptible d'être appréciée par un salarié en CDI, ne sera pas identique à celle d'un salarié en CDD de remplacement, ou d'un salarié en CDD de surcroît d'activité, ou d'un intérimaire, ou d'un alternant, etc.
De même, qu'il pourra être envisagé et travaillé de façon distincte l'expérience collaborateur selon une perspective d'opérateur, d'administratif, de cadre, etc.
> L'expérience selon une perspective de "Client interne" :
Elle relève plus particulièrement des questions d'interactions dans le cadre des demandes et sollicitations des collaborateurs, à savoir par exemple :
> L'expérience "Utilisateur"
Ce type d'expérience est le corollaire de l'usage des solutions et outils numériques et digitaux. Son optimisation en passe par une stratégie de simplification toujours plus poussée sur le registre de l'ergonomie, de l'accessibilité aux fonctionnalités, etc. En d'autres termes, en visant à transformer la complexité en simplicité pour l'utilisateur, de nature à favoriser l'appropriation et l'utilisation des outils avec le moins d'apprentissages possibles.
> L'expérience de "Rôle / de fonction" :
La prise en considération des expériences perçues et vécues par les collaborateurs dans le cadre de leurs fonctions spécifiques, et le fait d'oeuvrer à en développer la qualité, s'inscrit dans une logique de réciprocité et "d'effet cascade" des expériences.
Dans cette optique, il peut ainsi être adressé tout particulièrement la question de "l'expérience manager" (ex : Comment ce rôle est-il reconnu dans l'entreprise ? Comment le manager est-il soutenu, accompagné, développé dans sa fonction ? Quels sont les moyens, outils, mis à sa disposition ?, etc.)
Selon une logique équivalente, "l'expérience en tant que collaborateur RH" mérite d'être tout autant questionnée et travaillée. En effet, comment imaginer que des acteurs de la fonction RH dans l'entreprise, vivant à titre personnel une mauvaise expérience, puissent contribuer vertueusement et positivement dans le temps à développer une meilleure expérience pour les autres collaborateurs ? En tout état de cause, la qualité de "l'expérience collaborateur RH" comme la qualité de "l'expérience manager" impactent directement ou indirectement et à un moment ou à un autre, la qualité des "expériences des autres collaborateurs". Ce qui nous conduit alors à considérer par voie de conséquences et d'impacts, les différentes dimensions de :
> L’Expérience collaborateur perçue et vécue selon les aspects "RH et managériaux" :
Nous pouvons à ce niveau prendre en compte 6 dimensions qui prêtent à questionnements, investigations, réflexions, axes de travail et de développements :
En complément, et de façon plus transversale, une approche de travail peut également relever de la considération des différents "points de contact" de l'expérience collaborateur. Qu'il s'agisse des "points de contacts" humains (RH, Manager, Responsables fonctionnels, etc.) ou en termes de ressources, de contenus, d'outils (intranet / portail RH, Solutions SIRH, Plateformes collaboratives, réseau social interne, etc.)
Ainsi, en fonction des processus, des demandes, des besoins : Quels sont les points de contacts du collaborateur et les canaux d'interactions à privilégier (contact physique, téléphonique, par mail, par messagerie instantanée, visio, formulaire, tickets, chatbot RH, etc.) ? En a-t-il connaissance ? Sait-il les identifier, les distinguer en fonction de la nature de ses sollicitations, actions, etc. et y recourir de façon optimale ? Lui sont-ils facilement accessibles ?, etc.
Au-delà de l'ensemble de ces axes de considération évoqués en matière de pistes de développements d'expériences collaborateurs, il subsiste quoi qu'il en soit un challenge structurel à dépasser pour la fonction RH, qui relève d'une problématique que l'on pourrait qualifier de "choc de modèles". Et s'y attaquer requerra en tout état de cause une posture d'innovation en RH.
En effet, sur bien des points le modèle organisationnel et structurel de gestion des RH se fonde sur des objectifs tendant vers toujours plus de productivité et d'efficacité. Ceci, conduisant généralement à la mise en oeuvre de processus, de services, de prestations s'inscrivant dans des logiques visant à plus de standardisation et d'homogénéisation. Là ou à l'inverse un modèle d'expérience collaborateur plus aboutit et vertueux, tend à répondre à des besoins toujours plus personnalisés et individualisés.
Ainsi, par exemple, là où un modèle d'expérience collaborateur optimum viserait à proposer des réponses "au rythme du collaborateur" et de ses attendus en termes de réactivité, un modèle de gestion RH classique proposera via ses processus une réactivité de réponse calée sur le "rythme du flux de gestion" déterminé. A ce titre, une proposition de délai de réponse standardisée et généralisée sous 48h à toute sollicitation RH quelle qu'elle soit, relève de ce type de problématiques inhérentes à ce "choc des modèles".
L’approche centrée sur "l’expérience collaborateur" questionne et challenge donc nécessairement l’approche "gestionnaire".
Dès lors, sur quelles clés du développement de "l’expérience collaborateur" s'appuyer pour tendre à dépasser ce type de contradictions ?
En fait, entre des besoins et leur satisfaction, se jouent à la fois les questions du "timing", et de la "qualité de l'interface et de l'interaction".
Il convient donc de travailler tout particulièrement sur la base des principes suivant :
> Questionner l'accessibilité :Quels sont les points de contact ? Qui accède à quoi, comment, d'où et quand ? L’information est-elle directement accessible et facile à trouver ou plus largement difficile à trouver ?, etc.
> Penser ses approches et ses outils selon une logique de "Design Mobile" : La navigation, les utilisations sont-elles simplifiées au maximum ? L'ergonomie est-elle épurée et en lien avec un processus d'usage intuitif ?, etc.
> Optimiser la qualité des Interactions : Dans quelle mesure les interactions sont-elles facilitées, fluides, personnalisées, fondées sur la notion de proximité, etc. ?
> L'obsession de la Réactivité : Dans un monde où l'accoutumance est à l'instantanéité, quel est le temps d'entrée en contact RH ? Le temps de réponse ?, etc.
> Le recours à l'Analytique et à l'algorithmique : Dans quelle mesure "la donnée" est-elle au coeur du développement des "expériences collaborateurs" ? Comment son exploration, son exploitation, son analyse nous permet-elle de mieux comprendre les besoins, les usages, les comportements de nos différents collaborateurs ? Comment mesurons-nous leur satisfaction ?, etc.
En l'occurence, la question au coeur du travail sur l'expérience collaborateur est : "Dans quelle mesure connaissons-nous concrètement et spécifiquement nos collaborateurs ?"
En effet, si nous ne connaissons pas plus particulièrement notre interlocuteur : Comment pouvons-nous savoir ce qui est de nature à satisfaire ses besoins ? Comment pouvons-nous savoir ce qu'il est susceptible de ressentir ?
Comment pouvons-nous savoir ce qu'il est susceptible de vivre positivement ou moins positivement ?, etc.
En d'autres termes, sans connaissance, il ne peut y avoir de personnalisation. Et pour se faire, il s'agit donc de développer sa capacité à :
Viser à développer une approche de développement et d’optimisation de "l’expérience collaborateur", c'est donc tendre à se recentrer sur son sujet premier : le collaborateur. C’est le mettre au cœur de ses réflexions.
D'ailleurs, pour aller plus loin, en réalité l’expérience collaborateur optimale ne saurait se concevoir sans les collaborateurs eux-mêmes ! Qu'il s'agisse de la mise en place d'une nouvelle fonctionnalité utilisateur, d'un nouveau processus, d'un nouveau service RH, etc. il serait toujours avisé :
Ceci, d'autant plus que tant qu'un collaborateur considère qu'un service, un processus, ou plus largement "quelque chose" ne participe pas positivement à son expérience, il sera alors généralement en frein, bloquage, etc. et critique par rapport à celui-ci.
Enfin, pour conclure ce rapide tour d'horizon, gardons également à l'esprit que l’expérience collaborateur se nourrit également de "bonnes surprises", d'effets "Waouh", de "choses sympa" que les collaborateurs n'avaient pas encore vécus jusque-là. Cela étant, en matière de mises en oeuvre de nouvelles actions au service de meilleures expériences collaborateurs, il s'agit de rester néanmoins lucide quant à l’effet "d’accoutumance" qui peut rapidement jouer. Il n'est ainsi pas rare de noter qu'après une "phase d'enchantement" celle-ci peut rapidement évoluer à court ou moyen terme vers une phase d'habituation, voire dans certains cas de désillusion. Le niveau de qualité estimé de "l’expérience collaborateur" n’est donc jamais un acquis : C’est une démarche qui requière des remises en causes régulières, du renouvellement, et qui pousse donc foncièrement à développer un état d'esprit et une posture d'innovation RH.