De manière assez naturelle, nous apparentons la notion « d’erreur de recrutement », au fait d'identifier au bout "d’un certain temps" de présence dans l'entreprise de la personne recrutée, que "pour X raisons, cela ne le fait pas".
Et en ce sens, une étude du cabinet Robert Half indique d’ailleurs, que les employeurs mettraient deux semaines à se rendre compte d'une erreur de recrutement.
Alors, par prise de conscience de leur proportion de recrutements ratés et des coûts associés, ou tout simplement par besoin de se rassurer, les entreprises cherchent régulièrement à intégrer dans leur processus de nouvelles approches et modalités de sélections complémentaires. Pour autant, la sélection sur CV et l'entretien non structuré restent encore dans la très grande majorité des recrutements, des étapes pratiquées, et cela sans profondes remises en cause.
En parlant de "remises en cause", il me semble d'ailleurs bien souvent, à entendre les feedbacks dans certaines entreprises, que "l'erreur de recrutement" s'avère au final selon leur perspective, plus particulièrement associée à la personne recrutée, qu'à l'idée qu'il s'agit en fait d'une mauvaise prise de décision. Autrement dit, c'est la personne recrutée, qui est "l'erreur de recrutement". Une approche projective, voire de déresponsabilisation, qui nous ferait quasiment oublier qu'en fait l'erreur réside fondamentalement dans notre propre processus de prise de décision ! Et pour preuve, l'approche est alors de recommencer à recruter quelqu'un d'autre, avec le même processus, sans interroger plus avant ses modalités de prises de décisions, à la source de son erreur d'appréciation !
Et qui plus est, et si dans certains cas, "l’erreur de recrutement" n’était pas tant d'avoir recruté telle ou telle personne, mais au contraire, résidait dans le fait d’avoir évincé au cours de son processus de recrutement, le bon candidat ? Voire même "Le Talent", qui aurait impacté positivement l’avenir de l'entreprise ?
Alors à ce stade, on est tenté de se dire un truc du genre : "ah oui, mais bon, avec des Si... on pourrait mettre Paris en bouteille !"… "et de toutes manières on ne saura jamais si effectivement dans le lot il y avait le bon candidat, puisqu'on ne l'a pas retenu !"... histoire de passer à autre chose, de ne rien remettre en cause… de ne pas considérer qu’il y a là peut-être quelque chose à investiguer et améliorer, et donc qu’il y a matière à innover dans son approche RH.
Et pour cause, appréhendée de façon conceptuelle, la problématique semble alors d’autant plus complexe et donc difficilement adressable. Dès lors, et si nous partions d’un exemple plus pratique et concret ?
En ce sens, j’aimerais vous raconter une histoire, un « cas d’école » en recrutement :
J’ai eu récemment l’occasion d’investiguer le sujet, lors d’un cours sur le recrutement auprès d’étudiants RH en alternance, dont notamment une bonne part en agences et cabinets de recrutement. Répartis en 4 groupes, ils disposaient de la même véritable annonce, et de la même pile de 70 CV de réels candidats. Au regard des critères explicités dans l’annonce, chaque groupe avait ainsi pour objectif d’analyser collaborativement l’ensemble des CV, d'en sélectionner 5 qu’ils seraient susceptibles de contacter, et d’expliciter les raisons de leurs choix. En outre, s’agissant des 65 CV restants, « cerise sur le gâteau », ils avaient également à formaliser les motifs les conduisant à ne pas les retenir. A l’issue du travail des groupes, 15 candidats distincts furent sélectionnés. Dont 1 seul et même candidat retenu par 3 groupes sur les 4, et 3 candidats retenus de manière disparate par uniquement 2 groupes sur les 4. Dès lors, les 12 autres candidats retenus de manière cumulée, ne l’étaient finalement que par 1 groupe sur les 4 !
Si l’on considère alors la situation en termes de bonne et de mauvaise nouvelle, qu’en retenir ?
Et bien du point de vue du candidat, la bonne nouvelle est que pour une même annonce, en fonction du recruteur qui opère le premier tri, même si vous êtes en concurrence avec d’autres candidats plus susceptibles d’être retenus sur la base de leur CV, rien n’est totalement perdu, bien au contraire !
En revanche, du point de vue de l’entreprise, la mauvaise nouvelle est que si le candidat retenu 3 fois sur les 4, s’avérait réellement le plus susceptible de correspondre au besoin, et que vous étiez celle qui ne l’avait pas retenu, le fait de passer à côté aurait été votre erreur de recrutement. Idem pour les 3 autres candidats, où la probabilité de passer à côté aurait été dans le meilleur des cas de 1 sur 2 ! Autant laisser le hasard opérer, non ?... Alors, certains vous diraient histoire de faire comme s'il n'y avait pas là un problème : "ah oui, mais le recrutement n'est pas une science exacte... !". Sans tomber dans ce piège grossier, conduisant à changer de perspective, et pourquoi pas à s'interroger sur le fait de savoir en quoi les pratiques et approches de recrutement ne pourraient finalement pas tendre vers une science plus exacte, restons ici concentrés sur le constat factuel : Celle d'une probabilité on ne peut plus conséquente, de passer à côté de la bonne personne, en fonction de l'individu en posture de réaliser telle ou telle pré-sélection. Et c'est donc bien à ce niveau qu'il nous faut explorer les modalités de prises de décisions en tant que telles, et viser à plus de fiabilité.
Dans le même ordre d'idées, si l'on se projette au-delà de la sélection sur la base des CV, nous pourrions également considérer selon la même perspective, les biais inhérents et erreurs de prises de décisions, à l’étape de sélection fondée sur l’entretien de recrutement, notamment non structuré.
Dans cette idée, il est ainsi un passage dans le livre biographique de Steve Jobs écrit par Walter Isaacson, qui me semble intéressant :
« … Jobs avait le don de repérer les talents. Un jour, il voulut recruter une équipe pour travailler sur l’interface graphique du nouveau Mac OS. Jobs avait reçu un jeune homme, mais l’entretien ne s’était pas très bien déroulé. Le candidat était nerveux. Plus tard, ce jour-là, Jobs tomba sur le jeune homme complètement abattu, assis dans le hall, qui insista pour lui montrer l’une de ses idées. Jobs visionna une petite démo, utilisant Adobe Director, sur la manière d’aligner les icônes en bas de l’écran. Quand le curseur passait sur une icône, il se muant en une loupe qui faisait apparaître les vignettes en grand. Le patron d’Apple fut tellement impressionné qu’il engagea le jeune homme sur-le-champ. Cet effet de loupe devint l’une des caractéristiques du Mac OS X. Le concepteur continua à inventer d’ingénieux effets, comme le défilement avec inertie… »
Où comment sur la seule base de l’entretien de recrutement, ce candidat n’aurait jamais été recruté, et dans le cas présent, par voie de conséquence, les utilisateurs de Mac n'auraient jamais eu la même expérience d’usage...
Dès lors, comment innover en RH en matière de Recrutement, pour viser à réduire nos erreurs décisionnelles ?
Et donc, quelles pratiques RH innovantes pour tendre vers une approche, qui au-delà de nous rassurer sur notre sélection, serait ainsi de nature à nous éviter progressivement de passer à côté du bon candidat ?
"Il n’y a qu’à recruter sans CV !"
Alors, en regard de l’exemple précédent, concernant la sélection sur CV, le réflexe radical pourrait être assez naturellement celui de supprimer purement et simplement l’étape de sélection sur CV. Et en cela, dans cette idée de recruter sans CV, il existe en effet aujourd’hui une diversité d'approches plus ou moins adaptées en fonction des besoins, des natures de jobs, des profils, etc. et permettant une autre entrée en relation.
Une approche en ce sens, consiste ainsi par exemple, en une première sélection de candidats sur la base de solutions en ligne comme Reqrut.net, Seeing, Skilero ou plus simplement via Google Forms, en proposant alors aux candidats des questions ouvertes et spécifiques en regard des compétences recherchées. Une démarche à la fois sans considération préalable des parcours des candidats, et d’aide qualitative à la première prise de décision dans le processus de recrutement, à condition bien évidemment de travailler à l’identification et à la formalisation des questions véritablement pertinentes en regard de chacun de ses besoins. Qui plus est, il est également entendu que cette méthode ne saurait être appliquée pour tous types de profils. Dans des cas de figure par exemple de postes de faibles niveaux de qualification, et de profils pour qui le seul usage de l’informatique et de questionnaires en ligne serait de nature à constituer un canal discriminant. Ou à l’inverse en regard de profils pénuriques, conscients de leur valeur sur le marché, qui à moins de vénérer et de rêver de travailler pour l’entreprise en recherche de leurs compétences, risquent alors fort de considérer qu’ils ont mieux à faire que de passer du temps à répondre à trop de questions.
Dans le cadre de recrutements pour lesquels le besoin est d’identifier concrètement des habilités, aptitudes ou des technicités pratiques, et plus généralement de recruter en nombre, la Méthode de Recrutement par Simulation tend ainsi également à se développer. Ceci, au travers de différents partenariats entre Pôle Emploi et des entreprises aux besoins particuliers, qui bien souvent peinent à recruter. Une approche, une nouvelle fois fondée sur l’idée de faire abstraction du CV, et dont le paradoxe est d’ailleurs qu’elle existe depuis de nombreuses années, et qu'elle reste encore largement méconnue de bon nombre d’entreprises. Il s’agit quoi qu’il en soit d’être conscient, que la mise en place de sessions de recrutement par simulation, nécessitent notamment pour de nouveaux besoins, un investissement temps évident, tant de la part de l’entreprise, que des équipes Pôle Emploi réalisant les MRS.
Sur un autre registre, dans le cas de besoins plus urgents, pouvant se fonder sur d’autres aspects de sélection, et dans l’idée « d’accélérateur de rencontres », le site Maintenant constitue également depuis peu un nouveau canal d’entrée en relation entre recruteurs et candidats. Ceci, sur la base d’une liste de métiers clairement définis, et sans détours notamment sur les questions des qualités requises, de la rémunération, de la distance de travail, des horaires de travail, etc. Où comment gagner du temps en étant transparent dès le départ sur les réalités du travail.
Quoi qu’il en soit, si en effet des méthodes de recrutement sans CV sont progressivement déployées, et n’en déplaise à tout ceux qui annoncent et escomptent depuis longtemps la mort du CV, et même avec le développement des profils sociaux, les pratiques actuelles et habitudes d’une très grande majorité d’entreprise sont ce qu’elles sont, et le CV risque donc fort d’être encore présent un bon nombre d’années… en tout cas, tant que des humains seront en posture de prise de décision ;)...
Alors, comment réduire ses erreurs décisionnelles sur la base de la sélection de CV ou lors d’entretiens ?
Et si nous nous inspirions des pilotes d’avions de ligne dans leur cockpit ? Notamment, plus explicitement dans l’idée du binôme, de l’usage de check-lists, de routines, de règles du jeu et processus collectifs d’apprentissages, visant à réduire les erreurs "fatales".
Cela pourrait ainsi concrètement s’apparenter pour un besoin particulier à pourvoir, à :
- la formalisation plus aboutie d’une check-list de critères clairs et précis,
- permettant sur cette base une sélection croisée des mêmes CV, par deux recruteurs.
D’abord individuellement, puis sur la base de leurs short-lists respectives, pour susciter ainsi les échanges, complémentarités de perspectives sur les motifs spécifiques de sélection et de refus, les remises en questions, les apprentissages mutuels, un peu comme à l’instar des groupes d’étudiants évoqués précédemment.
Et ceci, afin d’aboutir ainsi à une sélection plus objectivée et plus qualitative, tout en ayant ainsi beaucoup plus travaillé la capacité à justifier des refus auprès des candidats concernés (ce qui est toujours bon en termes de Marque Employeur !…), et donc à viser à réduire le risque de passer individuellement à côté du bon candidat.
De même, dans la phase d’entretien, indépendamment du fait de systématiser la pratique de l’entretien structuré, pourquoi ne pas développer une pratique du Recruteur et Co-Recruteur, aux rôles clairement définis ? A savoir, l’un des deux déroulant sa « Check-List » des points de questionnements à valider avec le candidat, et l’autre en posture de backup, d’observateur silencieux, d’analyse des réponses du candidat, pour s’assurer que chaque point est bien « checked ». Il est en effet, d’expérience, des candidats dont le véritable talent est d’être bon en entretien, au point qu'ils conduisent le recruteur impliqué dans l’échange et dans l’action, à ne pas prendre conscience que les réponses ne valident en fait pas du tout les points d’investigations. Et cerise sur le gâteau, à l’issue de l’entretien, le recruteur est conquis. Un co-recruteur, en observation et vigilance des échanges, permettant alors de réduire ces risques d’erreurs.
Alors, j’entends déjà ceux qui se disent : « Quoi, doubler les recruteurs sur ces phases !?… mais ça coûterait deux fois plus cher ! ». Ce à quoi, m’inspirant de la citation d’Abraham Lincoln relative à l’éducation, à son coût et à celui de l’incompétence, je proposerais bien : « Si vous trouvez que cela coûte plus cher, essayez donc le coût des erreurs de recrutement ».
Cela étant, au-delà de toute considération conceptuelle et en regard des réalités et pratiques, combien de processus de recrutement ne sont fondés que sur l’intervention d’une seule personne, d’un seul recruteur ? En tout état de cause à l’exception du recruteur / RH qui recrute directement pour son équipe, ou de l’entrepreneur qui réalise ses premiers recrutements seul, n’y a t-il pas généralement a minima deux intervenants ? Qu’il s’agisse par exemple du recruteur qui se charge dans un premier temps d’une pré-sélection, puis la relaye à l’opérationnel, au manager ? Et si en fait il s’agissait alors plus de lâcher-prise, de s’extraire de cette vision taylorienne et séquentielle du recrutement, pour expérimenter et tendre alors vers de nouvelles approches plus collectives et collaboratives ?
Enfin, quelles approches imaginer et mettre en oeuvre, en matière de pratiques RH de recrutement quelques peu innovantes, notamment s’agissant de l’entretien de recrutement et du risque d’erreur associé ?
En fait, qu’est-ce qui se joue généralement lors de l’entretien de recrutement ?
Du coté des recruteurs, des biais cognitifs, qui vont conditionner de manière subjective les interactions, et prises de décisions inconscientes et conscientes. Qui plus est, des recruteurs ne travaillant majoritairement pas leurs capacités d’investigations et l’art de poser les bonnes questions.
Du coté du candidat, potentiellement du stress, des situations d’inconforts, des sentiments que cela se passe plus ou moins bien, d’être embarqués dans un processus quelque peu opaque en termes de critères de prises de décisions, etc.
Au final, l'entretien de recrutement devrait principalement être l’opportunité de part et d’autre d’investiguer les éléments d’informations manquants, pour être alors en capacité de prendre la décision la plus avisée possible en bout de processus. Or, dans les faits, l'entretien s’apparente plus régulièrement comme l’acte de prise de décision en soi, indépendamment d’une quelconque « rigueur méthodologique ». Combien de candidats n’ont ainsi pas été retenus, à la fois en raison de ce qui se jouait lors de l’entretien, et du fait de n’avoir pas eu les mêmes opportunités que d’autres, faute d’une investigation plus systématique et comparative entre candidats ? Combien de candidats n’ont ainsi pas été retenus par exemple, faute d’avoir eu l’occasion « check-listée dans le processus d’entretien », de présenter telle ou telle de leurs réalisations concrètes ? Un peu comme dans le cas relaté précédemment, du candidat pour qui l’entretien ne s’était pas très bien déroulé avec Steve Jobs, et qui, s’il n’avait eu la chance « d’avoir une nouvelle chance », n’aurait pas été retenu.
Et en l’occurrence, pour reprendre cet exemple, et si au-delà d’un travail de développement d’une plus forte « rigueur méthodologique » en matière d’interactions et investigations lors de l’entretien, l’une des pistes visant à réduire ses erreurs en termes de prises de décision, en tant que recruteur, était également par exemple d’arrêter de considérer l’entretien, comme la dernière étape avant le « on vous recontactera pour vous dire si c’est ok ou non » ? Et donc, et si avant toute communication d’une prise de décision « couperet », on se donnait de part et d’autre une opportunité complémentaire à plus forte valeur ajoutée d’interagir autrement et plus simplement, en mode « débriefing de l’entretien et authenticité et transparence » par exemple ? Pour ainsi réduire son risque d’erreur de recrutement, comme dans les cas de figure où en tant que recruteur on prendrait sa décision en faveur d’un candidat, sur la base d’une information qu’il nous a apporté sur une dimension, alors que cette même dimension n’avait pas été investiguée avec d’autres candidats précédents.
Pour conclure, et que ce soit sur la base d’un CV ou non, de l’entretien, etc., le point crucial reste nécessairement d’être au clair sur son besoin, sur la manière de valider que le candidat y corresponde effectivement ou non, et de le partager tout aussi clairement aux candidats. Il s’agit bien entendu d’une évidence, et pourtant il me semble toujours bon de le rappeler, au regard des réalités observées sur le terrain. Il est également important de garder à l’esprit, que toute dynamique de réussite dans le temps requière inéluctablement de « la préparation », d’y consacrer le temps adéquat, et de la persévérance en matière de rigueur d’analyse et d’amélioration de ses pratiques et performances. Qu’il s’agisse ainsi tant de travailler à préparer le ou les bons questionnaires spécifiques de pré-sélection, de concevoir, préparer et organiser les mises en simulations, de développer une véritable « rigueur méthodologique », et d’imaginer dans le temps de nouvelles approches et remises en causes de ses pratiques, visant à toujours mieux objectiver les prises de décisions.
En ce sens d’ailleurs, qui en tant que Recruteur, s’est déjà interrogé, sur sa part de responsabilité dans les mauvais ou bons résultats de son entreprise ? Ceci, lié au fait d’avoir embauché les bonnes ou les mauvaises personnes, et en la matière, d’avoir potentiellement évincé les bonnes au cours de son processus ? Et vous, que faites-vous concrètement pour viser à réduire vos erreurs potentielles s'agissant de vos propres prises de décisions, associées aux principales étapes du processus de recrutement ? Et donc, pour éviter de commettre parmi les différentes erreurs de recrutement possibles, celle de ne pas retenir le candidat qui se serait en fait révélé être le bon ?